Comment je suis arrivée au burn-out à 25 ans
Utilise mon expérience comme garde-fou pour toi, c'est vite arrivé ...
Je suis Mathilde Dehame, et j’aide les entrepreneures à entreprendre sans douleur : franchir plus facilement et plus vite les caps psychologiques et les montagnes russes de l’entreprenariat !
Ce post a été écrit en octobre 2023 sur mon ancien blog, je le remets à jour aujourd’hui.
Je fais partie du réseau Bouge ta Boîte quasiment depuis le début de mon entreprise, soit à peu près 6 ans. Vendredi j’étais à Think Big Her avec plus de 1000 autres membres et j’ai pu baigner dans cette énergie collective magique 🤩. Et un événement inattendu m’a aussi replongé 20 ans en arrière et … waouh… quel chemin parcouru en fait !
Déjà en repensant au même Think Big Her d’il y a 3 ans, j’ai réalisé l’ampleur du changement dans ma posture d’entrepreneure … Cela fait 6 ans que j’ai ma boîte, et peut-être 1 où je commence juste à avoir à peu près l’impression de savoir ce que je fais !
Faire un burn-out si jeune, c’est possible ?
Depuis le temps que je me dis qu’il faut que j’écrive là-dessus, car je ne l’ai jamais fait… et pourtant, je suis sûre que c’est encore d’actualité, et c’est vraiment compliqué à résumer en 3000 caractères [jusque là je n’écrivais que via les réseaux sociaux].
Cette expérience, c’est tellement un autre monde…. Tellement loin de la représentation de la vie festive étudiante… Oui il y a des “teufs” et celles de médecine ne sont pas les plus calmes. J’allais à quelques unes. J’essayais de m’intégrer. Mais bon… la viande saoule, la compétition, le bizutage et cette ambiance … comment décrire ça… d’insécurité constante en fait, d’être sur ses gardes constamment parce que les autres paraissent toujours se démerder mieux que toi… ça n’a finalement pas grand intérêt. A l’époque je pensais que c’était moi qui étais inadaptée. Il faut dire que l’époque du collège m’avait bien bien savonné la planche aussi, les traces restent. Je me rends compte a posteriori que ce qui me paraissait être une faiblesse, est plutôt une force : ne pas accepter de faire juste comme les autres pour faire comme les autres. Moi quand ça n’a pas de sens, je ne fais pas. Ca peut ne pas convenir…
Je réalise l’ampleur du chemin parcouru tout court aussi… à peu près il y a 20 ans, j’étais juste en plein burn-out.
Quand tu bosses non-stop 8 ans de suite, genre 98h/semaine, oui, c’est possible.
J’avais 25 ans, cela faisait 8 ans (déjà) que j’étais dans les études, dont 4 avec un mi-temps à l’hôpital. J’étais externe en médecine. J’étais épuisée. Le matin j’étais en « stage » donc à l’hôpital, à essayer d’apprendre à faire des diagnostics, savoir quoi prescrire, mais aussi faire secrétaire, coursière… l’après-midi j’étais censée être à la fois en cours, et en train de les apprendre. Dilemme résolu par une organisation collective hyperproductive : 1 binôme tournant prend les notes puis les photocopie pour toute la promo, permettant aux autres de bosser. Oui parce qu’aller en cours, quand ça consiste à juste recopier à 100 km/h ce qui est raconté sans explication et sans questions possibles, à un moment, on se rend compte que ce n’est juste pas rentable. Autant mutualiser cette partie la plus inutile et consacrer son temps au réel apprentissage… qui se fait seul à son bureau en croisant les cours et les bouquins. 100% autonomie. 0 partage.
Le soir j’apprenais également les cours. Forcément, il y en a tellement, et tu as si peur de ne pas savoir, de ne pas avoir la bonne réponse, faire plus tard une erreur de diagnostic ou de traitement, quand ce sera toi, à la barre, à la place de l’interne, juste dans 1 ou 2 ans... Tu dois ingurgiter toute la médecine et en faire quelque chose de logique, qui tient la route, dans un contexte ou personne ne te fera de cadeau si tu te plantes, et surtout pas toi car il n’y a pas de petite erreur… la vie des gens est au bout.
Et, une fois par semaine, j’avais une garde aux urgences ou au SAMU. Ca, c’était vraiment intéressant, vraiment du travail de terrain, concret, réel. Mais sans préparation aucune au côté non médical, social, psychologique : comment ne pas être maladroit, accueillir une victime de violences, quelqu’un qui a fait une tentative de suicide, etc.. comment gérer correctement une personne alcoolisée.. etc. Ca, c’est sur le tas. Pareil pour les gestes techniques. Dans le monde infirmier, visiblement on t’apprend tout de façon très formelle. Dans le monde médical, juste à côté, je crois qu’on a l’air de penser que ça n’est pas la peine. Toujours la même chose - sans que personne ne te le dise jamais, sinon ce serait trop simple : tu te démerdes. Mais sois excellent. Sinon pan pan cul cul.
Je viens de compter, démarrer à 8h le matin, et finir de bosser à minuit, ce qui était assez systématique pour moi, moins allez, 2h pour manger, ça fait 14h / jour. 7 jours sur 7, ça fait 98h !! Je n’avais jamais fait le compte. Je pense que ça m'aurait fait peur. Ce qu’il faut que tu te dises, c’est que c’est la norme dans ces études. La plupart des autres faisaient la même chose. Quelques énergumènes pouvaient sortir, aller au cinéma, faire des trucs, mais c’est qu’ils devaient avoir des capacités hors du commun. Comme ceux qui te font des double cursus style médecine et Normale Sup. Si, j’en ai croisé un, ça existe. Et ne me demande pas non plus comment font les copains qui cumulaient un boulot en même temps pour payer leurs études. Je n’en ai aucune idée. Encore moins quand c’est aide-soignant de nuit (tu dors quand en fait ? vraiment ??)
Quand tu n’as aucune considération, même pas d’être présenté dans le service…
Je me sentais surtout très seule. Perdue dans cette espèce d’organisation énorme, sans aucune intégration jamais (on débarque comme ça dans un service, sans présentation, avec un accueil sommaire pour expliquer ce qu’on fait, où sont les dossiers, et voilà), salariée en CDI sans même de contrat de travail (je n’ai vu la DRH que quand je suis partie ! Je ne connaissais même pas sa simple existence avant - je n’avais jamais travaillé avant donc 0 notion de comment ça marche), sans hiérarchie claire à part un responsable de niveau qu’on ne voyait presque pas, qui avait autant de capacités de compréhension et de soutien que … la plupart des autres chefs de services en fait, soit environ 0.
La norme dans ce système, c’est de critiquer vertement tout ce qui s’écarte de la bonne réponse. Si tu fais une erreur, ce n’est pas que tu n’es pas assez formé, c’est que tu es mauvais. Sous-entendu qu’il y en a d’autres meilleurs que toi, qui auront leur place (tu ne sais pas bien laquelle) mais pas toi. Tu dois être conforme. Humain par contre, c’est une autre question…
Un système qui n’est même pas capable de te dire où il y a du papier quand la réserve est vide, pour imprimer puis recopier tes résultats au lit du patient le matin (alors que c’est ton job le plus important avec la mise en ordre du dossier… waouh… même à ta 5e année d’études). Ni pourquoi la secrétaire du service X où ton patient est déjà passé refuse mordicus de te donner son dossier « parce qu’ils ne reviennent pas ». Où tu apprends qu’il est vital de dormir mais que pour toi, c’est secondaire. Genre tu as pas de vie, en fait. On ne reconnaît même pas le plus petit droit d’en avoir : tu as eu ton concours ? T’as accepté d’en chier. Ta vie c’est l’hosto. Equilibre vie pro vie… quoi ? Perso ? C’est quoi ce mot ?
D’ailleurs c’est l’impression que tu as franchement quand tu enchaînes une matinée avec une garde qui dure jusqu’à minuit, que tu reprends le lendemain matin ton service et que quand tu sors à midi, tu te rends compte que dans le monde extérieur, on est samedi, et que le samedi le parking est fermé… avec ta voiture dedans (ça m’est vraiment arrivé - j’ai oublié, parce que j’étais trop fatiguée). Parce qu’il n’y a pas de parking pour les externes, donc tu es au parking visiteur (quelle reconnaissance déjà… t’as même pas l’impression d’appartenir à l’établissement, quoi) et il aurait fallu que toi, tu prévoies que comme tu vas être là 28h de suite, dans 28h, le parking sera fermé… et aller te garer ailleurs… Où en fait ? A côté où c’est interdit et tu te prends une prune en cadeau de Noël ? T’as vraiment que ça à faire. En fait en 2 jours concrètement t’as fait 20h de taf… ça fait donc 36h sur la semaine pour faire… un mi-temps et 1 garde !! Et sans compter, évidemment, le temps d’études, tous les après-midis et soirs…
Tu vas être là 28h de suite… Juste en relisant je me dis mais c’est dingue quand même. Ca existe où ailleurs que dans ces études un truc pareil ?? Tu fais un 4/5e en fait en 1 jour et demi. - les gardes SAMU, c’est une vraie astreinte, tu dors là, oui, mais tu peux être réveillé plusieurs fois dans la nuit : c’est le but d’être là en fait.
Donc pour te représenter :
imagine une journée de 14h, bien stressante parce que n’oublie pas, tu es constamment sur tes gardes au risque de la moindre erreur que tu feras
suivie d’une nuit équivalente à celle de parent d’un bébé de 3 mois
re-suivie d’une matinée de nouveau.
Ensuite rentre chez toi sans t’endormir au volant.
Refais cette performance, ou proche, une fois par semaine, pendant 3 ans - sans repos entre 2, hein.
Sachant que ce qui t’attend après, c’est de ne plus aller te coucher du tout ou presque, la nuit. Genre ton bébé il revient en arrière, c’est celles du nouveau-né qui tète toutes les heures.
Tu vois le niveau d’épuisement ? Moi je ne comprends même pas comment ça tient. Comment les autres tiennent. C’est pas humain.
Tu bosses dans un truc de > 1000 personnes mais tu es seul
Dans un système aussi où il n’y a pas de liens avec les autres… tu travailles à côté des soignants, mais tu ne les connais pas, et ils ne te connaissent pas. Ils n’ont tellement aucune idée de ce que tu fais qu’ils vont jusqu’à te reprocher de te plaindre de fatigue alors que eux, font des nuits. Certes.. mais des nuits de 8h… avec un repos entre deux. Moi, certes, je dormais, à l’hôpital, mais je n’avais jamais aucun repos. Les 2 sont fatigants…
Mais tu étais étudiante, donc, tu as des vacances quand même ?
Normalement les étudiants ont des vacances ? Et les salariés ont des vacances ? Alors oui, mais quand tu cumules les 2 statuts (ça existe où ailleurs ?), en fait, il faut t’arranger pour faire coïncider tes vacances d’étudiant avec tes vacances de salarié.
Mais, bien sûr, c’est ce que veulent aussi les 3 ou 4 autres externes de ton service, sachant que tu ne peux pas rester qu’à 1, pour assurer le service (enfin… assurer la tenue des dossiers, hein… du boulot de secrétariat qui aurait pu se remplacer - mais tu es une main d’oeuvre bien moins chère qu’une secrétaire !!).
Donc, en gros, tu peux espérer avoir 2-3 semaines de vacances hors service en même temps que les vacances d’été d’étudiant. Les autres petites vacances… je ne me souviens même pas.
En fait ça faisait tellement peu de différence d’avoir des cours ou pas… de toute façon le quotidien était le même : bosser et encore bosser, apprendre, trouver des moyens de résister à la fatigue… Mais je n’ai jamais eu recours à des substances addictives… j’en avais beaucoup trop peur. J’ai juste essayé, un jour, un cocktail classique : coca café guronsan. Ca m’a suffi : je n’arrivais pas plus à apprendre parce que j’étais toujours exténuée, et je ne pouvais pas non plus dormir à cause des excitants ! Une soirée de perdue totalement inutile.
Et donc, ces 2-3 semaines de vacances, l’été, auraient pu être réelles, si j’avais pu vraiment couper et arrêter de travailler les cours. Mais… comme je suis incapable de retenir un truc que je ne comprends pas, tous les sujets de cours devaient être convertis en fiches de synthèse, travail de croisement que je faisais, comme la plupart des autres, à partir des bouquins d’internat ou des revues médicales. C’était un boulot de titan à chaque question, et malgré toute ma bonne volonté, je ne pouvais jamais tout faire. Donc, pour les matières où j’avais pu faire le tour, j’avais de bonnes notes, et pour les autres, c’était calamiteux. Tout, ou rien. Donc… il fallait les repasser aux examens de septembre… et donc… exit les vacances d’été.
Après plusieurs années de ce régime, bosser 14h par jour 7 jours/7, sans espoir que ce soit mieux après, au contraire - quand j’ai entendu des internes discuter en rigolant de leurs 3 à 5h de sommeil de leur dernière nuit de garde, et que ça allait (peut-être bien une rationalisation secondaire… ) j’ai commencé à comprendre que cela allait être compliqué.
Mais pas de là à remettre en question le système…
Je me remettais en question, moi. Toujours.
Le début du burn-out
J’ai aussi commencé à attraper tout ce qui traînait. La varicelle, ensuite, une pyélonéphrite (suite à la seule fois où j’ai été faire pipi dans les WC du service, je ne saurai jamais si c’était ça, mais d’habitude je n’avais pas le temps), une mononucléose, et pour finir, une carence en magnésium telle que je ne pouvais plus dormir profondément. En cause : le stress, qui mange les réserves de magnésium à force. Ca s’est rétabli avec des intraveineuses de magnésium…
Avec le temps, et le stress, je ne retenais plus rien, et j’ai fini par ne plus pouvoir juste ouvrir un bouquin sans stresser d’avance, parce que je savais que plus rien n’allait rentrer. J’ai aussi commencé à avoir des migraines. La première m’a prise par surprise un matin, incompréhensible, tellement forte qu’elle m’empêchait de parler (chaque mot prononcé s’ensuivait d’un grand coup de marteau dans le crâne) et donc d’expliquer ce qui se passait…
Sur la fin, quand je partais de garde au petit matin (si c’était le week-end), je m’endormais au volant si le feu passait au rouge. Juste attendre 2 minutes, c’est trop long, pof, dodo. Un jour on m’a demandé d’attendre à côté du téléphone, qu’il sonne (je ne sais plus pourquoi… je me dis maintenant, quelle pouvait être la logique de me demander ça…). Bref, bien évidemment, je me suis endormie. Même sans le vouloir (et pourtant, de base, je ne suis pas une grosse dormeuse). Je me suis fait engueuler comme du poisson pourri, bien entendu. Quelle honte.
Si j’avais mal au dos, à force d’être debout trop longtemps, et que je m’adossais au mur pour me soulager, on me faisait comprendre que ça ne se faisait pas, en me proposant de rentrer chez moi, si ça n’allait pas. Sur un ton faussement bienveillant… genre, tu peux avoir un problème, mais pas ici. Ici tu ne peux pas t’écouter. Soit tu restes (pour apprendre) soit tu rentres, mais tu montres que tu ne tiens pas le coup.
Tes besoins ne comptent pas
Parce qu’il s’agissait surtout de ça. Tu es censé lutter contre toi-même, tes besoins. Comme si tu étais un robot, que tu doives coûte que coûte assurer le job. Certes, ça te forge une détermination de dingue, mais dans une lutte où de toute manière, tu ne gagneras pas. Les autres pourtant sont là, et paraissent fonctionner, avec la même chose que toi.
Il arrive un moment où tu ne comprends pas pourquoi, pour toi ça ne fonctionne pas, alors que pour les autres apparemment oui. Ca a l’air de vouloir dire que visiblement, c’est toi qui n’est pas assez bonne… chose que de toute manière, on te dit depuis le début (même en ayant passé cette barrière des 10% choisis) : les bizuteurs, appelons-les comme ça, qui viennent te faire peur dans l’amphi en première année, te disent que tu es une sous-merde. Tu espères donc après, devenir potentiellement une merde, et peut-être par la suite, un peu mieux (on ne sait pas bien quoi).
Mais tu es toujours au plus bas de la hiérarchie, tu ne sais pas assez, tu n’as pas les réponses, et peut-être que si tu travailles vraiment très dur tu vas pouvoir accéder au niveau au-dessus. Donc, tout ce qui est aveu de faiblesse, c’est pas possible. Le mieux, c’est que quasiment personne réellement dans le système ne te dit ça, ou que par des insinuations. Tu ressens tellement fort que tu ne comptes pour rien dans le système… tu es là pour apprendre et les autres pour bosser, donc on veut bien peut-être vaguement prendre un peu de temps pour te former mais faut surtout pas exagérer et te montrer absolument à la hauteur. Si j’avais essayé de dire « je n’ai pas compris » je pense que à peu près la moitié des médecins que je voyais m’auraient regardée comme si j’étais un ovni. L’autre moitié pouvait être bienveillante, mais on a si peu de temps de contact réel dans des moments rendant possible une vraie communication, que c’était compliqué d’essayer, ou de réussir à les repérer. Il faut dire que nous n’étions pas forcément avec un encadrant identifié et présent. Nous quémandions plutôt des petits bouts de savoir précieux à qui voulait bien nous en donner…. Voilà un système bien destructeur de confiance en soi…
Donc j’admirais les gens qui pouvaient se contenter de 5h de sommeil. Longtemps, sans aucun recul, je les enviais vraiment, parce qu’ils avaient plus de temps pour travailler… j’aurais voulu avoir des journées de 48h. Le but était de caser un maximum de choses en un minimum de temps, bref, la productivité, même si on ne lui donnait pas de nom. Je suis allée au maximum de ce que je pouvais rationaliser. Mais je ne supportais plus aucune contrariété ou aucune chose qui grippe mon organisation bien huilée. Et ça, ça m’est resté jusqu’à encore très récemment : vouloir absolument être efficace, tout le temps. Même par la suite, malgré mon métier d’ergonome, c’est assez récemment que j’ai réalisé que c’était juste une règle que j’avais intégrée, mais qui n’était pas forcément si utile…
D’autres choses me paraissaient incohérentes aussi. Je devais faire un interrogatoire efficace, l’objectif étant d’apprendre à obtenir vite un diagnostic : ça se comprend, on a pas 3 heures quand la personne va mal. Mais, cela signifiait aussi faire tellement le tri dans ce que les patients disaient, qu’on ne pouvait pas prendre le temps de leur parler, même s’ils en avaient besoin. J’ai toujours eu cette qualité d’écoute, cela me faisait violence de devoir arrêter d’écouter et juste questionner l’essentiel du point de vue médical, technique.
Je n’avais aucun recul sur la situation : ce n’était pas seulement que je me sentais nulle, c’est que j’en étais persuadée. Pas forcément sur le terrain, parce que c’était différent … pour certaines choses, je me rendais compte que je réussissais des diagnostics, mais pour autant aux examens, je me plantais, alors que les autres s’en sortaient. Ce n’était pas une vue de l’esprit, j’ai redoublé 3 fois ma 5e année. Il y avait des choses que je ne comprenais pas : comment j’aurais pu par exemple, savoir quelle était la bonne conduite à tenir dans une maladie, quand un bouquin disait A et l’autre disait B, surtout pas A ! Alors que j’étais seule avec ça. Sachant en même temps, que le sujet était à un niveau d’expertise qui demande une réflexion à plusieurs médecins, mais que pour autant ces questions sont quand même ce qui va définir notre classement à l’examen national classant (qui remplaçait le concours d’internat). Donc j’étais censée savoir, en 5e année, la bonne réponse à une question qui ne faisait même pas l’unanimité …
Mes tentatives de solution…
J’ai accusé ma mémoire. Je suis allée consulter, selon les tests ma mémoire était excellente ! (Mais pourtant au quotidien… je suis toujours un poisson rouge).
Sentant quand même que j’étais à bout, irritable, insupportable, une boule de nerfs, épuisée, vidée, j’ai aussi essayé d’avoir un arrêt de travail, pour reprendre des forces et repartir de plus belle ensuite. Le burn-out, à l’époque ça n’existait pas, en tout cas le mot. Ma médecin traitante n’a rien compris, ne comprenant même pas, même en ayant traversé a priori le même parcours que moi, quel était le problème. Ce qui me renvoyait à nouveau à ma nullité, a priori, si elle ne voyait même pas le problème, ayant réussi à traverser la même chose, c’est que c’était moi le problème… Elle a donc refusé.
J’ai également tenté de demander à notre responsable de cycle, celui avec la sensibilité digne de Dr House, en moins drôle, de faire une année sabbatique : j’avais découvert que ça existait, je me disais que ça pouvait être top pour revenir en forme. En fait je pensais ne pas m’arrêter, mais juste prendre de l’avance en ayant 1 an de plus pour constituer ma base de fiches … (c’était un peu dingue, quand j’y pense, et surtout toujours plus de la même chose.. mais je l’aurais fait). Il a refusé, ne comprenant pas l’intérêt, en me donnant surtout la très désagréable sensation qu’il me prenait pour une tire-au-flanc; en regardant mes résultats, je peux comprendre, mais ne pas se poser la question de pourquoi j’en arrive là… en ayant quand même passé ce maudit concours, tu te dis pas qu’il y a une erreur ? J’ai été capable de bosser pour arriver à être 66ème sur 600 et ensuite, je glande ?
J’avais 25 ans, je ne savais rien faire d’autre que la médecine, et je croyais aussi que je devais rester là parce que j’avais eu ce f….. concours. C’est tellement … élitiste… c’est un honneur d’être là, sélectionnée dans les 80 sur 600 cette année-là, tu as toujours eu de bonnes notes, il n’y a pas de raison, et donc, c’est logique de continuer. Prise la tête dans le guidon du quotidien, je n’ai jamais réinterrogé cette logique… Je ne m’en rendais pas compte, donc. C’était normal d’être là.
Une issue que je n’aurais pas vue seule
Jusqu’à cette discussion avec le psychologue consulté après mes tests de mémoire, parce que je les trouvais incohérents, qui aboutit à une remise en question de la suite de mon parcours (logique bien sûr, vu de maintenant…) et où je me souviens que je lui dis « mais je ne sais rien faire d’autre » et qu’il me réponde « mais vous pouvez apprendre ! ». C’est tellement évident, bien sûr, vu de l’extérieur… Après toutes mes tentatives pour faire avec mes insuffisantes ressources, travailler toujours plus… cette petite phrase toute simple m’ouvrait un monde !!
Bien sûr qu’à 25 ans, je peux encore apprendre quelque chose… Mais à l’époque, du point de vue qu’on nous transmettait à l’école, il fallait choisir son parcours, et une fois que c’était fait, on allait jusqu’à trouver un métier, et puis voilà. Je n’avais jamais eu l’idée qu’on pouvait changer en route… peut-être aussi une idée présente dans la famille, « ne pas être une girouette », « savoir ce qu’on veut »… qui finalement vous bloquait dans un chemin une fois qu’il était choisi.
Cette phrase a fait son chemin, et cette nuit-là, j’ai fini par me dire « mais en fait, pourquoi je suis là ? » et… je n’ai pas trouvé. Ce n’était pas dur, au contraire, c’était libérateur. J’ai senti un poids s’en aller… je ne savais pas du tout où j’allais, mais médecine, c’était fini, juste là à ce moment.
Je ne regrette pas, vraiment. Surtout quand on voit l’état des hôpitaux maintenant. Tout ça, c’était avant la T2A… où je ne comprenais pas qu’on puisse demander à un hôpital d’être rentable, puisque nécessairement, juste, il soigne, ça rapporte rien… Mais je me disais que d’autres savaient mieux que moi, évidemment. Finalement, peut-être pas !
Par contre, quand je suis partie, j’avais vérifié avec la fac que je pouvais reprendre où je m’étais arrêtée, si besoin. Bon, 20 ans après, je doute que ça soit encore possible lol et surtout je n’ai plus le niveau ;) Ce fut une fin qui n’en était pas vraiment une, car je n’ai jamais eu d’entretien comme lorsqu’on quitte un job : parler avec ton boss parce que tu démissionnes. Non, là, tu pars, sans en discuter avec personne. Dans l’anonymat le plus total, et la totale indifférence mais cohérence d’un système pour qui tu n’as jamais compté à un seul moment.
Comme je n’ai jamais eu de contrat de début, et que je ne savais pas qu’habituellement on en avait, je ne m’étonnais pas de ne pas avoir de fin. Et pourtant, finalement, si : étant donné que j’avais annoncé ma décision à la fac, qui était mon seul point d’attache, mais que la fac n’a pas eu l’idée de communiquer à l’hôpital que je quittais mes études, l’hôpital a continué à me verser mon « salaire », soit en gros 150 balles. Si si. Que je n’ai donc pas spécialement vu passer, à l’époque, on avait pas internet à la seconde comme maintenant, pour suivre ses comptes. On regardait son solde de temps en temps, c’est tout. J’ai donc été convoquée par la DRH, parce qu’au bout d’un moment (je ne sais pas vraiment comment en fait), l’hôpital s’est rendu compte qu’il me payait alors qu’il ne fallait plus.
J’ai donc découvert qu’il y avait une DRH. Je ne connaissais rien ni à son rôle, ni au fait qu’il y ait ce style de structuration, puisqu’on ne rencontrait jamais personne d’administratif. Elle était surprise que je ne leur aie pas signalé ma démission (mais comment j’aurais pu, puisque je ne savais pas qu’elle existait…) et me disant « mais quand même, vous étiez encore payée ». Je lui réponds « vous savez, je n’ai pas remarqué, ce n’est pas avec ça que je vis, ça suffisait juste à me payer l’essence pour venir… ». Je pense qu’elle s’est peut-être rendue compte alors, à quel point on était sous-payés ? Je ne saurai jamais. Avec mes connaissances par la suite, j’aurais aimé pouvoir lui poser la question. En tout cas, on était tellement peu rémunérés, que même pour la retraite, la première année faite ne compte que comme une demi parce que le salaire est trop bas !!
Ce qu’il en reste
Je pense que c’est sans doute à cause de cette sorte de fin, qui n’est pas vraiment une fin que je fais encore de temps à autre des rêves où je suis à la fois dans mon métier actuel, et en reprise d’études de médecine… je suis encore externe, et selon les cas, je dois encore réviser pour valider des choses, ou alors non j’y suis mais peu importe si je n’ai pas les examens…
Par contre, il me reste un sentiment mitigé, bizarre, des restes de connaissances à moitié oubliées. Il me reste des réflexes médicaux, des logiques, mais dont les fondements se sont effacés. C’est comme si j’avais des bouts de toit mais plus de charpente, donc dans la vie courante, toujours riche en questions de santé, il me revient des choses mais connectées à des trous, ce qui est très désagréable. Sur les choses qui m’ont le plus marquée, ou les plus courantes, il me reste des connaissances, et visiblement la logique souvent reste bonne, mais c’est très bancal et agaçant ! Ca me suffit quand même à me rendre compte assez vite si une situation est grave ou pas, c’est au moins ça, et ça reste utile. Mais ces espèces de connaissances flottantes sont désagréables…
Il m’a fallu des années, par contre, pour me débarrasser de ce syndrome de l’imposteur si présent, cette sensation d’être nulle, jamais assez bonne.
J’en ai aussi gardé un niveau d’exigence très fort, envers moi-même, envers les autres aussi… dont je n’ai pas fini de me débarrasser. Ce n’est pas qu’une qualité !
Mais ce qui a tout de suite changé, quand j’ai repris mes études, en psychologie, donc, c’est mon exigence envers le système et la pédagogie, ce qui a fondé ma logique tout à fait raccord avec l’ergonomie d’ailleurs : je me suis jurée que je ne sortirais plus d’un cours sans avoir compris, quitte à embêter le prof avec mes questions. Après avoir été frustrée si longtemps de ne pas comprendre et devoir chercher seule, sans aide, j’ai décidé que je n’étais plus la fautive, et que c’était au système de me donner les moyens pour que je m’en sorte. Pas à moi de faire toujours avec rien. Je n’ai rien lâché.
C’est aussi ce que je retransmets aux personnes maintenant :
identifier les règles rigides, les drivers qui les guident, et qui ne sont pas forcément utiles;
comprendre la notion de système, et que tout ne repose pas sur l’individu, bien que la culture en place tende à toujours mettre la faute sur les personnes : en somme déculpabiliser, lâcher la pression.
En faire une force pour refuser aussi que le système cherche à tout vous mettre sur le dos, sans prendre sa part de responsabilité, savoir faire le tri et remettre chaque chose à sa place
Ne pas rester seul, jamais ! Et oser partager ses problèmes.
Quelle que soit sa situation, on a besoin des autres. Rien ne fonctionne seul, nous gagnons tant à partager, discuter, les échanges sont d’une telle richesse…
Je me suis rendue compte récemment, à quel point la rencontre humaine est importante, et au centre de tout. Etre entouré, réfléchir ensemble, l’intelligence collective change tout. C’est surtout l’absence de soutien social, qui m’a tant manqué. L’absence de retour, de partage, de pouvoir être rassurée sur les difficultés traversées…
Marie Eloy a raison, vraiment, c’est ensemble qu’on bouge le monde !
Et toi, as-tu déjà connu un burn-out ?
N’hésite pas à me dire en commentaire !
Hello ! J’ai vécu une expérience similaire à bosser comme une folle en toute illégalité (les pointeuses, c’est surfait) et à penser
1/ que c’était normal
2/ que c’était moins le problème
3/ qu’en étant plus compétante, je bosserais moins
Il m’a fallut 1 ligament et un mois d’arrêt pour me rendre compte du problème du raisonnement, et une reprise à mi-temps pour être sure de moi et partir.
Quand je suis partie, on m’a dit que j’étais vraiment un élément fiable et dynamique… alors qu’on m’avait fait sentir comme une merde tout du long.
Merci pour ce beau poste qui retranscrit si bien la perversion de ce type de système !